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LA MEDIATION FAMILIALE ET L'AUTONOMISATION DES FEMMES AU CAMEROUN : UN ENJEU COMPLEXE

La médiation est de plus en plus souvent présentée comme une solution pour résoudre les conflits, qu’ils soient conjugaux, familiaux, communautaires, voire interétatiques. Elle connaît un succès médiatique certain, notamment en tant qu’accompagnement social et familial.

Au niveau communautaire, la médiation est souvent menée par un chef coutumier ou un membre influent de la famille. L’objectif principal est de rétablir la cohésion, sans nécessairement chercher à déterminer qui a raison ou tort. Ces interventions sont courantes dans des sociétés où les rôles et les responsabilités sont clairement définis, tant au sein des ménages que des communautés.

Cependant, il est crucial de s’interroger sur la pertinence de la médiation familiale en cas de violences domestiques, en particulier dans des contextes où la femme est soumise à l’autorité de son mari. Cette soumission justifierait-elle les violences subies ?

En juin 2024, notre association ACLVF a mené des actions de sensibilisation dans deux régions du Cameroun sur le thème de l’autonomisation économique des femmes comme moyen de lutter contre la violence économique. Le thème de la médiation familiale est souvent revenu lors des discussions sur les conflits, notamment pour éviter la dislocation de la famille.

Cependant, il est apparu que la médiation pouvait parfois contribuer à restreindre les libertés des femmes, qui craignent de prendre des initiatives et se sentent obligées de satisfaire les besoins de leur mari et les attentes liées à leur rôle au sein de la famille et de la communauté.

C’est pourquoi nous avons jugé important de publier un compte rendu de ces rencontres avec les femmes, afin de susciter une réflexion sur le rôle de la médiation en cas de violences conjugales. Il est essentiel d’alerter sur les dangers potentiels de cette pratique dans un contexte où la femme est déjà désavantagée culturellement et juridiquement. Nous souhaitons également interpeller les autorités pour qu’elles envisagent des solutions pour encadrer, voire interdire, toute forme de médiation en cas de violences conjugales.

Autonomisation des femmes : un pas autorisé par la communauté et le mari

Si l’expression « la femme doit rester à la maison » est de moins en moins fréquente, on entend de plus en plus souvent « je ne veux pas une consommatrice » ou « ma femme doit travailler ». Les hommes semblent plus ouverts à l’idée que les femmes puissent avoir une activité génératrice de revenus.

Cependant, cette ouverture cache parfois des mécanismes de contrôle et de respect des rôles de genre traditionnels. De nombreuses communautés, surtout en zone urbaine, tolèrent le travail des femmes, y voyant même une contribution financière importante pour la famille. Les femmes sont présentes dans presque tous les secteurs d’activité, du social aux domaines techniques et scientifiques.

La mondialisation a permis de faire évoluer les mentalités sur le rôle des femmes dans l’économie et le développement. Le coût de la vie incite de plus en plus d’hommes à investir dans l’éducation de leurs filles et à encourager leurs femmes à travailler.

Cependant, les rapports au sein de la famille demeurent souvent hiérarchiques, avec l’homme qui reste le chef de famille. Dans les zones rurales, la situation est parfois différente.

L’autonomie des femmes devrait idéalement entraîner une meilleure gestion économique du foyer et un partage des responsabilités. Cependant, nos échanges avec les femmes et les hommes ont révélé que cette autonomie peut être perçue comme une menace par certains hommes, qui cherchent à la contrôler.

La peur de perdre le contrôle peut conduire à des violences conjugales. Pour certains hommes, la violence est le seul moyen de rappeler aux femmes leur place et leur soumission.

Ce contrôle passe aussi par la gestion des ressources familiales. Certains hommes estiment que l’argent gagné par leur femme doit être mis à disposition de la famille, même s’ils n’en ont pas nécessairement besoin. Cette attitude est liée à une conception patriarcale de la femme comme un « bien » de la famille.

Dans les zones rurales, les femmes cherchent des solutions pour échapper à ce contrôle, notamment en se regroupant en associations pour réaliser des projets économiques. Cependant, elles ne parviennent pas toujours à se libérer complètement de la domination masculine, car elles continuent souvent à solliciter l’aide financière de leur mari, même lorsqu’elles pourraient subvenir elles-mêmes à leurs besoins.

Campagne de sensibilisation sur l’autonomisation économique des femmes : pourquoi la médiation dans les cas de violence est un frein à l’empowerment et à l’autonomisation économique des femmes ?

La médiation familiale, bien que non reconnue légalement au Cameroun, est une pratique courante, notamment dans le cadre de la résolution des conflits conjugaux. Cependant, son application dans les cas de violence domestique soulève de sérieuses préoccupations.

L’idée sous-jacente est souvent de protéger la femme des conséquences potentielles d’une dénonciation des violences, ce qui peut sembler paradoxal. Or, cette approche présente plusieurs dangers :

  • Légitimation des violences subies par la femme: La médiation peut banaliser les actes de violence en les plaçant sur un pied d’égalité avec d’autres types de conflits. Elle peut donner l’impression que les violences conjugales sont un problème « familial » qui peut être résolu à l’amiable, alors qu’il s’agit d’un crime.
  • Risque de culpabilisation et de re-victimisation: La médiation peut amener la femme à se sentir responsable des violences qu’elle subit, voire à les excuser. Elle peut être soumise à des pressions pour « arranger les choses » et « sauver son couple », ce qui peut entraîner une re-victimisation.
  • Un instrument de violence psychologique: Dans certains cas, la médiation peut être utilisée par l’agresseur comme un moyen de pression supplémentaire sur la victime. Il peut s’en servir pour la manipuler, la culpabiliser et la maintenir sous son emprise.
  • Limitation de la liberté de la femme: La médiation peut contraindre la femme à rester dans une situation de violence, alors qu’elle aurait besoin de s’en éloigner pour se protéger et se reconstruire. Elle peut l’empêcher de prendre conscience de ses droits et des recours qui s’offrent à elle.

Pourquoi les médiations familiales sont-elles importantes dans notre contexte culturel ?

Il est essentiel de reconnaître l’importance des médiations familiales dans le contexte culturel camerounais. Elles peuvent jouer un rôle essentiel dans la résolution de conflits mineurs et le maintien de la cohésion sociale.

Cependant, il est crucial de distinguer les situations où la médiation est appropriée de celles où elle ne l’est pas. Dans les cas de violence domestique, la priorité doit être accordée à la sécurité et à la protection de la victime. La médiation ne doit pas être une solution de facilité qui permet à l’agresseur d’échapper à ses responsabilités.

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